dimanche 3 juin 2012

Le printemps érable

« Etre de gauche c'est d'abord penser le monde, puis son pays, puis ses proches, puis soi ; être de droite c'est l'inverse. » [Gilles Deleuze]


De par mon travail et le poste que j'occupe, je suis tenu à la plus grande "neutralité" quant à l'expression de mes positions dans ce qu'on appelle maintenant le printemps érable québécois, en référence au printemps arabe qui a mené au soulèvement récent des pays du moyen-orient et du nord de l'Afrique. Il est aussi plutôt rare que je me serve de cette tribune-ci afin d'exprimer mon opinion sur des sujets un peu plus sociaux et d'actualité. Je sais que c'est un terrain glissant qui joue avec l'émotivité de plusieurs...la question divise les meilleures familles...mais la raison pourquoi j'ai décidé d'en parler est fort simple: j'en ai un peu ras-le-bol de lire et d'entendre n'importe quoi par n'importe qui sur la question...des opinions tranchées sans nuances et sans regard ou analyse critique qui forge l'opinion d'une majorité, pour moi, c'est toujours un peu dangereux...au sens où des semi-vérités sont colportées (de part et d'autre) et où la propagande du plus fort fait souvent la différence en bout de ligne. Bien sûr, le Québec me préoccupe. Je paye plus que ma part de taxes et d'impôts et chaque jour, de par mon travail, je vois des dépenses disons, "questionnables" me passer dans les mains. Mais je vois aussi de bons investissements pour l'avenir du Québec, des placements pour une société meilleure. Cela dit, dans quelconque gouvernement, ceux qui crient le plus fort sont généralement ceux que l'ont écoute et que l'ont tente de satisfaire. Dans le conflit qui opposent les étudiants au gouvernement sur la hausse des frais de scolarité (qui s'est maintenant élargi à des manifestations à répétitions contre la gouvernance du Parti Libéral), le coeur du problème en est un de communication. 


Le gouvernement devrait prendre le blâme:
1) d'avoir mal géré cette crise qui s'éternise (on a trop attendu avant d'accepter de négocier...cette attitude est profondément anti-démocratique)
2) d'avoir mal compris le message des leaders étudiants (ils ne reculeront pas). Un gouvernement se doit d'écouter un choix impopulaire. Or il a tenté de l'ignoré jusqu'à tout récemment.
3) de mal cerné l'enjeu dont il est question (l'accès à l'éducation est une valeur profonde de la société québécoise et elle concerne l'avenir économique de toute cette province)
4) de ne pas avoir négocier de bonne foi...35$ de réductions, ce n'est pas un pas, c'est rire d'eux. Et toutes les autres mesures proposées ne réduisait pas la facture d'un yota.
5) d'avoir mis en place une loi absurde qui n'est pas applicable et qui a des allures de pays totalitaire et qui n'a fait que souffler sur des braises déjà chaudes (quelle mauvaise stratégie!).
6) d'avoir perdu le contrôle sur le financement des universités: trop d'abus ont mené à une mauvaise gestion et à du gaspillage inacceptable.


Cela dit, le mouvement étudiant a lui aussi des torts:
1) il ne semble pas négocier de bonne foi lui non plus. On ne peut pas demeurer camper dans une position en négo...chacun doit faire sa part pour dénouer l'impasse et les étudiants n'ont rien déposer de concret (du moins publiquement) en ce sens. Les leaders étudiants veulent gagner, pas négocier.
2) ils ont perdu le contrôle de plusieurs manifestations qui ont mal tournées (le vandalisme rapporté dans les médias pas des casseurs n'a pas trouvé d'empathie auprès de personne) et plusieurs n'ont pas respecté les injonctions en plus de prôner la désobéissance civile, pas fort.
3) ont ne crache pas dans la main qui nous nourrit: bloquer des ponts, peinturer des statues en rouge, aujourd'hui ils parlent de perturber le Grand Prix du Canada qui n'a RIEN À VOIR dans ce débat. C'est devenu n'importe quoi et ça sent l'improvisation. (quelle mauvaise stratégie!) c'est con et cela a grandement nuit  à leur cause parmi les travailleurs.
4) ils ont mal su exploiter et communiquer les fondements de leur cause qui est pourtant noble: l'accès à une éducation de qualité pour tous à faible coûts, l'éducation supérieure comme tremplin à un Québec plus riche.
5) comme le gouvernement, le mouvement étudiant a bafoué la démocratie en ne respectant pas le choix démocratique du peuple qui a élu démocratiquement ce gouvernement. Des élections auront lieu d'ici 180 jours, j'ai hâte de voir le % de participation.


Évidemment, je n'ai pas la prétention d'avoir la science infuse et beaucoup d'autres facteurs ont provoqué la longueur de cette crise qui n'en finie plus de finir: la couverture médiatique, un PM absent et malhabile, l'ignorance de la population, la dérape de certaines artistes du Plateau, l'arrogance de Gabriel Nadeau-Dubois...bref.

Après 3 mois de manifestations, mon analyse quotidienne auprès de mon entourage et des médias sociaux m'a fait relevé les tendances suivantes:

1) Gauche-droite
Le conflit semble opposé la droite et la gauche et selon les milieux que je fréquente, c'est l'une ou l'autre des tendances qui domine, mais rarement j'ai rencontré quelqu'un au centre. De plus, les factions semblent campées dans leurs positions et n'en démordent pas. Pour moi, qui oscillent parfois entre la droite et la gauche, j'ai de la difficulté à rallier les factions et pour certaines personnes, l'enjeu devient personnel et émotionnel. On arrive difficilement à échanger dans ces cas-là.

2) Qui paye?
Un sondage éclair au bureau pendant le dîner m'a fait voir que j'étais le seul sur environ 8 personnes qui avait payé ses frais universitaires lui-même. Pourtant, toutes ces personnes étaient "pro-carré rouge", donc derrière les revendications étudiantes. J'ai trouvé ça étrange qu'ils se sentent tellement concernés par cette cause alors qu'ils en ont jamais vraiment payé les frais comme moi qui devait 20 000 $ (que j'ai remboursé en 7 ans). À ce titre, c'est moi qui devrais être dans la rue avec une casserole, pas eux. J'estime donc que plusieurs étudiants ne payent pas leurs frais universitaires...et que pour cette raison, ils ne devraient pas avoir le droit de chialer contre la hausse, hormis par altruisme. Je suis d'ailleurs stupéfait que les maisons de sondages ne pose jamais cette question...


3) Je-Me-Moi- Nous?
Les personnes de ma génération qui n'ont jamais fait d'université sont les pires opposants au printemps érable. Je sens régulièrement de la haine et probablement une forme de jalousie dans leur propos. Parfois, ça frôle l'agressivité et trop souvent, l'ignorance. Les autres opposants à la cause étudiantes sont les boomers ou "ceux qui sont déjà passé". L'argument que j'ai le plus souvent entendu c'est que "les jeunes sont des enfants gâtés pourris, que eux, ils ont travaillé pour se payer leurs études alors qu'ils fassent pareil". Ce sondage récent appuie d'ailleurs mes observations. L'attitude "je suis passé dans le système, j'en ai profité, maintenant, payé pour nous" m'écoeure au plus haut point.

Certes, la génération des boomers à réalisé de belles choses, mais c'est elle qui a mis le Québec dans le rouge. Ceux qui payeront pour leurs programmes sociaux coûteux (rentes de vieillesse, assurance-maladie), ce sont nous...alors ils auraient tout intérêt à ce que nous gagnions bien nos vies afin de contribuer à toutes ces caisses, nous qui seront démographiquement inférieur en nombre. Cet autre article est d'ailleurs bien savoureux. Le Québec vient d'ailleurs d'atteindre un point de bascule. Pour la première fois, le poids démographique des personnes de 65 ans et plus vient d'égaler celui des moins de 15 ans. 


4) On ignore les faits historiques
Le gel des frais de scolarité perdure jusqu'en 1990. Ils triplent pour atteindre 1 668 $ CAN par an lors du deuxième gouvernement de Robert Bourassa. Les frais sont gelés à nouveau de 1994 à 2007. En 2007, le gouvernement de Jean Charest procède à une nouvelle augmentation des droits de scolarité de 500 $ CAN sur 5 ans, les faisant passer à 2 168 $ CAN par année. L'augmentation des droits de scolarité universitaires annuels annoncée pour 2012 à 2017 par le gouvernement Jean Charest, passerait de 2 168 à 3 793 $ CAN : une augmentation de près de 75 % en cinq ans.


5) On manipule les chiffres alors voici les vrais!
- Au 22 mars, 35 CÉGEPS étaient en grève, il n'en reste plus que 14 en date d'aujourd'hui. Plus de détails ici.
- Selon la Classe, 161 associations étudiantes regroupant +/- 154 163 étudiantes et étudiants sont en grève, ce qui représente environ 30% des étudiants post secondaire. Plus de détails ici.

- 65 % des étudiants québécois qui terminent leur baccalauréat avec des dettes, s'élevant en moyenne à 14 000 $ CAN.  En incluant le CEGEP, 69,2 % des étudiants à temps plein s'endettent et 25 % d'entre eux estiment qu'ils auront accumulé une dette de plus de 20 000 $ à la fin de leurs études.

Évolution de la dette étudiante au Canada entre 1995 et 2005 (Source: Stat Can)


Comparaison des frais universitaires des autres provinces canadiennes.


Les Droits de scolarité dans l’OCDE

Graphique illustrant la croissance droits de scolarité universitaire annuels au Québec depuis 1968 (en $ CAN). Les bandes verticales de gouvernements libéraux ; celles en bleu, des péquistes.

Source: The Canadian Consumer Tax Index, 2011

- Les Québécois demeurent les contribuables les plus lourdement taxés au Canada (et donc en Amérique du Nord, puisque le fardeau fiscal des Américains est en moyenne de 30% plus léger qu'au Canada). Cette observation vaut pour toutes les catégories de revenus. En réalité, le fardeau fiscal des Québécois est encore plus élevé que les chiffres le laissent supposer, puisqu'ils doivent payer une taxe de vente provinciale non seulement sur leurs achats de biens (comme en Ontario), mais aussi sur leurs achats de services.

- Le sous-financement des universités québécoises est évalué à 620 M$, soit 3 100 $ de moins par étudiant par rapport aux autres universités canadiennes. Ces chiffres sont toutefois contestés car les universités anglo-québécoises sont financées à un niveau bien supérieur au pourcentage d'anglophones dans la population du Québec.

- Parallèlement, le Parti Libéral du Québec est au coeur de plusieurs scandales dont voici la courte liste:
             - Corruption et collusion dans l'industrie de la construction;
             - Financement occulte des caisse électorales par des entreprises;
             - Attributions partisanes de places en garderies et de permis aux amis du PLQ;
              - Le mécanisme de nomination des juges est subjectif et partisan;
             - Adoption de la Loi 78, une loi matraque à la limite de la  démocratie;
             - Financement de l’amphithéâtre de Québec à raison de 200 M$;
             - Le Plan Nord est fortement critiqué par plusieurs économistes comme apportant peu de bénéfices pour le trésor québécois du au faible taux de redevance sur les ressources naturelles extraites.
                    - ...
                  
En conclusion, tout cela mis ensemble, doit-on s'étonner que le PLQ soit au prise avec la pire et la plus longue crise étudiante de l'histoire du Québec? Car c'est bien de cela dont il s'agit. Le printemps érable dépasse la mesure de la hausse des frais de scolarité, le "mouvement" prend en considération (et parfois mélange tous) tous ces faits d'arme qui s'accumulent sur le dos des contribuables qui voient leurs salaires diminuer chaque semaine (hausse des cotisations à la RRQ, Assurance chômage et RQAP); les taxes augmenter (le taux a été augmenté de 7,5 % à 8,5 % le 1er janvier 2011 et ensuite à 9,5 % le 1er janvier 2012), les coût de l'électricité ( +18,4 % depuis 2004), le prix de l'essence ((+ 67% en moins de trois ans, le voyant passer de 0,80 $/litre en 2009 à 1,34 $/litre )...bref, ce n'est pas tant le montant de la hausse que l'annonce de la hausse des frais de scolarité qui a fait déborder le vase pour plusieurs, d'où la crise actuelle.


Quant à la hausse des frais de scolarité (l'élément déclencheur de la crise actuelle), bien les faits parlent d'eux même je crois. Le problème pour le mouvement étudiants, c'est qu'ils ne représente qu'une minorité (30%) qui conteste toujours cette hausse, ce qui donne au gouvernement la latitude et le rapport de force nécessaire à ce qu'il continue d'imposer cette augmentation dans la gorge des étudiants. Forcement, plus le temps avance, plus l'opinion publique se rangera derrière le gouvernement car au Québec, c'est connu, on aime pas la chicane et  le poids démographique des boomers et des personnes âgées joue contre la cause étudiante.   

Toutefois, au delà des stratégies politiques, syndicalistes et économiques, la vraie question est pour moi: que veut-on pour le Québec? Un accès aux études supérieures pour le meilleur médecin en devenir, même s'il est issu d'une famille pauvre ou un médecin qui l'est devenu car issu d'un milieu favorisé? À qui profite véritablement cette hausse? Aux banques? Aux universités? Au gouvernement? 

Suis-je pour? Suis-je contre? À vous de juger...l'accès aux études supérieures demeure pour moi un choix de société, au même titre que l'accès aux soins de santé...voilà qui est dit. Maintenant, si le peuple juge que ses priorités sont ailleurs, bien ils pourront réélire Jean Charest aux prochaines élections. Sinon, il nous libérera des libéraux et nous pourront ensuite oser prétendre qu'il y aura vraiment eu un printemps érable au Québec. En attendant bien, que les 2 parties retournent négocier.


Sources:
http://fr.wikipedia.org
http://www.crepuq.qc.ca
http://www.immigrer-contact.com/
http://argent.canoe.ca/
http://cacq.ca
Source image: http://www.lapresse.ca

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